Au fond de la vallée de l’Arve, l’usine électrochimique de Chedde est un des premiers grands complexes industriel de Savoie. Cette usine-forteresse va ainsi dominer et structurer la vie ouvrière tout au long du XXe siècle, faisant du petit bourg industriel un des pôles historiques du mouvement ouvrier local.
Les conditions de travail dans l’usine électro-chimique sont très dures, et les accidents sont nombreux.

En 1904 a lieu la première des luttes organisées par les ouvriers. Mais c’est en 1906 que la colère face à cette situation de misère éclate profondément, année marquée pour ses conflits sociaux puisqu’on compte plus de 1 000 grèves cette année en France.
Entre le 19 juin et le 4 juillet 1906, une grève à l’appel de la CGT pour la « journée de huit heures » fuit suivie par 270 ouvriers. Des défilés eurent lieux, avec femmes et enfants en tête de cortège et le premier drapeau rouge…
C’est d’ailleurs avec l’émergence des premiers conflits sociaux en 1904 que le commissariat de police de Chedde est construit dans un but répressif anti-ouvrier…

Cette émergence du mouvement ouvrier dans cette vallée comporte plusieurs facteurs d’explication. Premièrement, il y avait la proximité avec Genève où les cercles ouvriers socialistes étaient nombreux. Ensuite, il y a toujours eu dans cette localité une forte tradition d’émigration, notamment italienne. Cela a permis la circulation des idées les plus progressistes de l’époque et ainsi favoriser l’éclosion du mouvement ouvrier.
Au début du XXe siècle, la France connaît une certaine agitation anarchiste comme l’atteste l’assassinat en 1894 du président de la République Sadi Carnot par un anarchiste italien. A Chedde aussi, des rapports de police attestent de la présence de ces militants comme Julien Bègues, anarchiste grenoblois détaché à l’usine de chlorate.
>> Voir aussi : La première Guerre mondiale dans la vallée de l’Arve
Au cours des années 1920-1930, le paternalisme et les avantages sociaux qui s’étend avec notamment la création de la cité ouvrière (avec un jardin à cultiver), intègre et pacifie en partie les ouvriers dans une communauté industrielle.
La loi des « 8 heures » de 1919 puis les conquêtes sociales de 1936 (semaine de 40 heures et congés payés) vont renforcer la stabilité des couches supérieures des ouvriers : le travail en 3×8 favorise le statut d’ouvrier-paysan, c’est-à-dire d’être ouvrier à l’usine une partie de la journée, puis paysan au champ l’autre partie.
Toute cette politique sociale locale et nationale désamorce les conflits sociaux. Il faut attendre les années 1940 et le fascisme pour avoir un regain de combativité populaire.
Malgré la présence de 80 salariés descendus en septembre 1941 à Annecy pour acclamer le Maréchal Pétain, une partie des ouvriers s’organisent très tôt contre la guerre et le fascisme.
Dès avril 1939, des affiches sont placardées partout dans le bourg industriel invitant au 1er mai. Les propos des militants communistes tenus à la manifestation sont portés sur le pacifisme, le progrès social et le soutien à l’URSS.
Mais la politique du « Travail, Famille, Patrie » trouve un écho dans le paternalisme local, renforcé par la « Charte du Travail » qui vise à faire collaborer les patrons et les ouvriers, sans opposition possible (les syndicats sont dissous).
A Servoz, petit village surplombant l’usine et lieu de résidence pour de nombreux ouvriers, le maire communiste Emile Descombes est destitué le 14 juin 1940. Avant même la guerre, deux ouvriers communistes avaient été licenciés de l’usine, par mesure « préventive ».
Cela n’empêche pas la police de constater, le 11 mai 1941, la présence d’un drapeau rouge et de symboles socialistes (les 3 flèches) dans la commune. Le 4 mai 1941, des ouvriers de l’usine sont emprisonnés quinze jours après avoir chanté la Marseillaise et l’Internationale lors d’un serment du chef local de la Légion Française des Combattants (police politique du régime de Pétain).
L’ancrage ouvrier des militants socialistes et communistes va permettre la relance d’une opposition de gauche et antifasciste dans cette localité. L’arrivé dans les années 1920 de réfugiés italiens fuyant le régime fasciste de Bénito Mussolini a favorisé la diffusion du danger représenté par les régimes se reclamant de cette idéologie.

Débuté dès décembre 1941, la résistance populaire contre le régime de Pétain va s’élargir avec le refus, à la fin 1942, du S.T.O (le travail obligatoire pour l’Allemagne). De nombreux jeunes fuient cette sur-exploitation au profit du « maquis » ; ce qui les placent sous la direction des militants antifascistes.
Par-exemple, Adolphe Gabioux, militant communiste et ouvrier à l’usine, dirigeait le maquis de Montfort sur les hauteurs de Saint-Gervais-les-bains.
L’usine de Chedde devient alors une cible centrale pour l’action militaire du fait de l’atelier d’aluminium qui fournit massivement l’armée allemande d’occupation.
Entre l’hiver 1943 et le printemps 1944, les contre-maîtres Jean Moni et Albert Santucci en alliance avec des ouvriers mettent à l’arrêt toute la production d’aluminium. Ces deux personnages, dont Jean Moni, d’extrême gauche, est proche du Parti Communiste, seront les principaux dirigeants F.T.P (francs-tireurs et partisans, résistance armée proche des communistes) du haut de la vallée de l’Arve. L’usine de Chedde, avec ses bases C.G.T, était leur place forte, point central pour le commandement.
La résistance cible également le transport de marchandises, les polygones et les lignes électriques, les « colonnes d’eau » productrice de l’électricité, dans le but de paralyser la production. De nombreuses actions de sabotage quotidien sont effectués, comme mêler du sable ou des ferrailles à l’aluminium…
Des opérations de guérilla sont également mises sur pied. La nuit du 13 décembre 1943, le directeur de l’usine, Philippe Périnet, fait l’objet d’une tentative d’assassinat. Il était visé pour ses allégeances au pétainisme et son zèle particulier à faire réparer le plus rapidement les cuves d’aluminium touchées par les sabotages.
Le 30 décembre 1944, la compagnie F.TP 93-06 (communiste) neutralisent les gardes mobiles armés et pénètrent dans l’usine. Ayant pris soin de couper les fils téléphoniques et de masquer leur visage, les résistants stoppent la production et font évacuer les ouvriers en leur demandant de ne pas reprendre le travail avant 24 heures.

Cette effervescence politique des années de l’époque de l’occupation fasciste puis nazie renforce considérablement le mouvement ouvrier, et particulièrement la C.G.T.
La C.G.T est majoritaire aux élections du comité d’établissement de 1945, et la grève de 1947, à l’initiative des communistes, est suivi pendant deux semaines.
Dans les années 1950-1960, les appels à la grève étaient, en moyenne, suivis par 80 % du personnel avec des grèves perlées (une à deux heures par poste) pour des hausses de salaire. Le 14 avril 1961, c’est une grève politique antifasciste d’un quart d’heure qui se déroule pour s’opposer au putsch d’Alger. En 1962, deux grèves sont effectuées contre l’OAS (organisation de l’armée secrète, milice para-militaire partisane de « l’Algérie française ») et en l’honneur des victimes de la manifestation de Charonne (
Du fait de la domination précoce de la CGT et de sa taille, Chedde acquit la réputation d’une usine revendicative et prompte à se mettre en grève . Entre 1960 et 1968, Chedde était devenue une usine très difficile, c’était un peu le fer de lance des syndicats pour les usines Péchiney (Ludovic Caillet)
C’est en effet en mai-juin 1968 que le mouvement ouvrier atteind son apogée à Chedde. C’est de cet élan qu’Albert Ala, militant du Parti Communiste Français, sera élu maire entre 1977 et 1983, mais dans une optique simplement de gestion…
Comme partout ailleurs en France, c’est à la suite du reflux de ce mouvement que s’affaiblit progressivement le mouvement ouvrier constitué au cours de la période 1910-1930.
Les ateliers les plus combatifs ferment petit à petit. La modernisation technique s’accentue avec l’apparition de fours automatisés en lien avec une flexibilisation de la main d’œuvre (intérimaire, cdd, etc.).
La classe ouvrière se disperse dans les multiples zones industrielles et artisanales avoisinantes et l’accès à la propriété privée (des anciens appartements de la cité-jardin) pour les couches supérieures des ouvriers. La cité HLM remplace la cité-jardin pour les ouvriers les moins qualifiés, le plus souvent liés à l’immigration maghrébine des années 1960-1970.
Si la classe ouvrière de la commune a diminué, elle est majoritaire dans la vallée. Elle n’a cependant pas suffisamment développé un mouvement capable de changer la vie locale rythmée par la ville-dortoir et une pollution dont elle est la première des victimes…
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