Il y a 20 ans, entre le mercredi 24 et le vendredi 26 mars 1999, un terrible incendie touchait le plus long tunnel autoroutier du monde. Débuté aux alentours de 11h à partir d’un poids-lourd belge transportant du beurre et de la margarine, le brasier perdura pendant plus de 53 heures.

Le bilan était catastrophique : 39 personnes décédées, 24 camions, 9 voitures et 1 moto calcinées. Le procès, entamé le 31 janvier 2005, établi que la responsabilité relevait de l’exploitant du Tunnel pour non-respect des mesures de sécurité et non-respect de la procédure d’urgence.
Les travaux de rénovation du Tunnel se sont faits dans des conditions de travail terribles : les ouvriers, pour beaucoup d’origine immigrée, oeuvraient en 3×8 dans la poussière, la chaleur et les gaz d’échappement. Certains dormaient dans leurs voitures, malgré des journées commençant très tôt le matin parfois par – 8°c.
Une grève en mars 2000 permis d’obtenir de meilleures conditions de logement pour ces « esclaves des grands groupes de BTP, négriers des temps modernes » (Guy Ancey, secrétaire de l’UL CGT pays du Mont-Blanc).

Construit en 1962, le Tunnel du Mont-Blanc est devenu au cours des années 1980 un des axes privilégiés par le Trafic International Routier (T .I. R) dans la traversée des Alpes. En effet, plus en bas dans la vallée, la construction en 1982 du viaduc des Egratz va s’avérer déterminant dans une économie capitaliste reposant sur la flexibilité.
Avec l’effondrement du fret ferroviaire, l’essor du transport de marchandises par camion est l’illustration du flux-tendu et du « zéro-stock » comme gestion du capital à partir de la fin des années 1970.
Le train, peu flexible et plus coûteux en infrastructure, est sur-passé par les flottes de camions se faufilant rapidement dans les zones industrielles et dans un arc alpin au centre des échanges européens. Au début des années 2000, 75 % du fret terrestre est transporté par la route.
Au Tunnel du Mont-Blanc, on passe de 590 000 véhicules tout confondu par an en 1966 à 1 939 000 en 1992. Ce chiffre est stable puisqu’on comptait 1,7 millions de véhicules en 2018 pour environ 620 000 camions. Une part importante de ces camions provient de pays extérieurs à la France et l’Italie, et répond à l’échange international de marchandises, contrairement au tunnel du Fréjus qui, avec un capacité équivalente, est surtout emprunté par des camions français et italiens.
Cette circulation du capital désastreuse pour l’environnement devait nécessairement avoir comme revers l’émergence d’une opposition. Avec la diminution de la pollution de l’air durant les trois ans des travaux du tunnel, celle-ci apparaît largement dans le champ de la lutte écologiste.
La naissance en 1991 de l’A.R.S.M.B (Association pour le Respect du Site du Mont-Blanc), association de lutte contre les effets néfastes du T.I.R dans la vallée de Chamonix, en est l’illustration.

En 1994, ce sont les premiers blocages de camions. A cela s’ajoute une pétition de plus de 15 000 signatures, le tout obtenant l’abandon du projet de percement d’un second tube dans le Tunnel. Puis ce seront plusieurs manifestations en vélo sur le viaduc des Egratz, dont celle en 1997 de plus de 1 000 personnes marquée par la présence de Nicolas Hulot. La lutte contre le « tout camion » devenait un mouvement populaire que l’on ne peut nier.
Dans ce contexte, au-delà du drame humain, c’est aussi dans ses aspects politiques que l’incendie du Tunnel du Mont-Blanc va fortement marquer les esprits.
Le président de la République Jacques Chirac pourra ainsi déclarer : « les camions ne peuvent raisonnablement plus passer par ce tunnel ». On annonce alors la mise en place d’une nouvelle politique des transports, fondée sur le ferroutage (transport de marchandises par train). C’est la naissance de l’Autoroute Ferroviaire Alpine (AFA) en 2003, puis du projet de ligne à haute vitesse entre Lyon et Turin en 2011.
Or, concrètement, que s’est-il passé ? À proprement dit, rien.

Pire, l’AFA qui relie donc Aiton dans la Maurienne à Orbasanno (banlieue de Turin), par le tunnel du Mont-Cenis (1871) voit ses capacités sous-exploitées. Entre 2012 et 2017, l’AFA a vu le fret passer de 9 734 à 7 863 trains avec une sous-utilisation avérée de l’infrastructure (3,9 millions de tonnes en 2010 pour une capacité de 20 millions). L’AFA semble surtout utilisée par les camions-citernes transportant des matières dangereuses interdites d’accès au tunnel du Mont-Blanc depuis l’incendie de 1999.
Le principal obstacle à ce phénomène reste la loi du marché capitaliste : les compagnies du transport routier préfèrent l’usage de la route, moins coûteux, que l’emprunt de l’AFA plus onéreuse sans obtenir un gain de temps supplémentaire.
Dans le capitalisme, l’État est au service des grandes entreprises. Or, si l’on regarde par exemple la SNCF, on s’aperçoit que la part du fret ferroviaire a chuté alors que Geodis, sa juteuse filiale de transport par camions, a explosé (elle est la première entreprise logistique en France et la quatrième en Europe).
Dans le même temps, la classe dominante cherche essentiellement à maximiser les taux de profit et à fluidifier toujours plus la circulation du capital.

Que cela soit la bourgeoisie du Nord de l’Italie ou les riches entreprises de BTP françaises en Rhône-Alpes, le projet de TAV reliant Lyon à Turin, portant à 40 millions de tonnes les capacités de fret, semblent une aubaine. Cela est largement préféré à une politique de rationalisation, d’aménagement et d’entretien de la ligne existante !
Le revers du drame du Tunnel du Mont-Blanc était la promesse légitime d’une réelle politique du fret ferroviaire. Celle-ci est resté lettre morte.
Il ne faut pas s’en étonner car sans un Etat au service des besoins démocratiques et non pas des monopoles capitalistes, tout n’est qu’illusion.
20 ans après, ce sont trois fois moins de marchandises qui transitent par le rail et toujours autant par le tunnel du Mont-Blanc, génèrant de bien trop nombreuses particules fines pourrissant l’atmosphère locale.
[…] des années 1980 avec les grandes politiques de libéralisation du secteur ? Comment critiquer la sous-utilisation de l’AFA sans parler de l’accumulation du capital basée sur la flexibilité, le zéro-stocks et le […]