Le rattachement de la Savoie à la France (Janvier-Avril 1860).


Histoire populaire / vendredi, août 9th, 2019

Le rattachement de la Savoie à la France se réalise dans un contexte qu’il faut bien avoir en tête : celui des guerres européennes de libération nationale entre 1789 et 1871, avec l’Italie au coeur de la dynamique.

Avec une nation unifiée, la France est entrée dans la modernité. La bourgeoisie reste divisée sur la nature du régime politique à adopter. L’équilibre reste toutefois de mise « grâce » à l’attachement des paysans à la propriété privée qui en font de fervents défenseurs de l’ordre contre la gauche républicaine et le mouvement ouvrier socialiste.

Bref, les nouvelles luttes de classe se développent en France.

A l’inverse, l’ « Italie » n’est pas encore une Nation au sens moderne du terme et son entrée dans le nouveau cours historique reste à faire.

L’arrivée au pouvoir en 1851 du libéral Camille Cavour qui affirme une stratégie de rattachement des différents États à la couronne Sarde en contre-partie de l’abandon de la Savoie et de Nice va accélérer le processus.

Fin de la guerre d'Italie

Mais pour achever ce processus, les patriotes italiens unis derrière Camille Cavour doivent entamer une guerre contre l’Empire d’Autriche pour récupérer la Lombardie-Vénétie.

Le 21 juillet 1858 est décidé dans les Vosges à Plombières un pacte entre Napoléon III et Cavour : la France aidera militairement l’Italie en échange du duché de Savoie et du comté de Nice.

La Guerre d’Italie entre avril et juillet 1859 permet le rattachement de la Lombardie, même si la paix signée par Napoléon III à Villafranca montre une timide intervention française.

La rencontre de Plombières.

Mais, avec la paix de Villafranca, c’est la question de la Savoie qui devient un point central des relations diplomatiques européennes.

Dans son analyse sur les « guerres de libération nationale », Lénine disait :

« Tous les démocrates honnêtes, révolutionnaires, de même que tous les socialistes, ont toujours souhaité, dans les guerres de ce genre, le succès du pays (c’est-à-dire de la bourgeoisie) qui contribuait à renverser ou à saper les bastions les plus dangereux du régime féodal, de l’absolutisme et de l’oppression exercée sur les peuples étrangers. »

La guerre d’Italie, une guerre moderne

Bien que modifiées, les conditions historiques attestent de ces tendances politiques. Depuis 1792, la Gauche savoyarde penchait par ferveur libérale-républicaine vers la France, alors que la Droite restait attachée au royaume Piémontais par conservatisme religieux.

Mais depuis 1851, les choses ont changé :

« Sous Louis-Napoléon, la France est devenue assez réactionnaire et ultramondaine pour apparaître à l’aristocratie savoyarde comme un rempart devant la politique révolutionnaire du Piémont »

(Friedrich Engels, La Savoie, Nice et le Rhin, 1860)

Les républicains souhaitent dorénavant le maintien dans la couronne sarde, avec un parlement dirigé par le libéral Camille Cavour, tandis que les conservateurs se tournent vers la France bonapartiste, cléricale et autoritaire.

Par exemple, le comte Greyffié de Bellecombe, issu d’une vieille famille savoyarde et chef de file d’une délégation « annexionniste » à Paris à la fin mars 1860, avait tiré sur un ouvrier des Voraces en 1848.

Alors, le rattachement à la France fut-elle une démarche réactionnaire ou une nécessité historique ? Pour cela, il faut regarder ce qui se passe à la base dans la société savoyarde.

L'opinion publique

L’agitation s’intensifie en Savoie. Cependant, la revendication du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’émerge pas alors même que l’époque est précisément à l’affirmation de ce sentiment patriotique.

Les conservateurs parlent à travers Le Courrier des Alpes, et les libéraux s’expriment, depuis mars 1859, à travers Le statut et la Savoie. Dès le 29 janvier 1860, le « comité patriotique », regroupant les libéraux républicains, manifeste à Chambéry en soutien à Turin.

Entre janvier et avril 1860, ce ne sont pas moins de 150 brochures et articles qui sont publiés par les deux camps, témoin d’une grande effusion politique dans la société.

L’entrée de la Suisse dans la « question savoyarde » va bousculer encore un peu plus la donne et renforcer les tensions intérieures et extérieures.

En effet, depuis que la Savoie est repassée dans le giron Sarde en 1815, le nord de la Savoie (vallée de l’Arve) bénéfice de la neutralité militaire. Craignant sa disparition avec un rattachement à la France, une activité pro-Suisse prend place.

Fin janvier 1860, à l’initiative de l’Helvetia, un comité d’étudiant de Genève, une pétition circule demandant le rattachement de la Savoie du Nord à la Suisse. En parallèle, un « comité d’initiative » créé par des savoyards résidant à Genève lancent leur propre pétition, accompagnée du journal La Savoie du Nord à Bonneville.

Ce « parti pro-Suisse » fonde sa légitimité sur les liens d’émigration qui existent entre Genève et les vallées du Giffre et du Chablais tout autant que sur les débouchés économiques de l’Horlogerie du bassin Clusien.

La pétition a un succès certain puisqu’elle recueille plus de 12 000 signatures et le « parti Suisse » prône l’abstention au référendum d’avril.

Pourcentage de voix pour la pétition « pro-Suisse » en Savoie du nord

Mais plutôt que de diviser les savoyards, cette intervention suisse renforce l’unité : les conservateurs créent le journal Le Bon Sens, et les libéraux, attachés également à l’unité, se rallient progressivement à la solution française.

Le 1e mars 1860, Napoléon III annonce officiellement le rattachement et entre le 20 et le 26 mars une délégation de 41 savoyards montent à Paris.

Pour résoudre la question épineuse de la Savoie du Nord et maintenir l’unité, il est proposé de voter « oui et zone » (accords douaniers avec la Suisse et espace démilitarisé) dans les régions du Chablais, du Giffre et de l’Arve.

Les 21 et 22 avril en Savoie est organisée la consultation publique sous la forme d’un référendum. Avec 135 449 inscrits, le résultat est sans appel : 130 839 votes en faveur du « oui », dont 47 076 pour le maintien d’une zone franche et neutre dans le Nord.

La Suisse, aidée de la Grande-Bretagne, avait bien agitée le Faucigny et le Chablais en faveur du « non », mais rien n’y a fait.

Les intérêts suisses tenteront une nouvelle offensive en février 1871 mais il n’y a jamais eu d’écho populaire capable d’imposer un rattachement helvétique.

Et pour cause : la paysannerie du Faucigny agissait en pleine conscience de ses intérêts pluractifs, à la fois paysan propriétaire d’un petit lopin de terre et à la fois ouvrier-artisan fabriquant de systèmes horlogers pour la Suisse.

A la fois attachée à la religion catholique et à la fois ouverte et tolérante aux idées libérales, et surtout parlant largement le français.

Le « oui et zone » répondait finalement très bien aux besoins de la paysannerie et des notables.

Le vote à Annecy

Il est vrai que les bulletins « non » n’étaient pas présents lors du vote, mais cela atteste de procédures démocratiques modernes encore très embryonnaires (rappelons que l’isoloir et le bulletin sous enveloppe ne sont inscrits dans la loi française qu’en 1913).

Au-delà des procédures, il faut bien constater l’agitation profonde de la société civile savoyarde, avec des paysans bien alphabétisés.

On peut affirmer sans nulle doute que la portée et les enjeux du rattachement à la France était connu de la société savoyarde. D’ailleurs, le 10 mars 1860, le conseil provincial d’Annecy qui avait voté à 31 voix (sur 42 membres) contre le démembrement de la Savoie, avait placardé des affiches explicites sur l’enjeu historique.

A la fois attachée à la religion A la fois attachée à la religion catholique et à la fois ouverte et tolérante aux idées libérales, et surtout parlant largement le français.

Finalement, la révolution industrielle qui pénètre largement la Savoie à la fin du XIXe siècle n’engendre pas de projet indépendantiste, ni du côté de la bourgeoisie, ni du côté de la classe ouvrière.

A l’époque du capitalisme ascendant où les bourgeoisies européennes unifient leur marché national avec la formation des nations modernes, la Savoie ne s’est avérée être qu’une particularité régionale de la France.

La bonne participation (suffrage universel masculin) aux élections législatives de 1863 et de 1869, de même que la stabilisation du clivage politique moderne confirme que la Savoie ne constitue pas une nation.

Le référendum du 8 mai 1870 à propos d’une nouvelle constitution recueille 42 406 suffrages favorables contre 8 335 opposés en Savoie, et 45 589 pour contre 8 367 non en Haute-Savoie.

En dehors de poches d’opposition historiques – à Annecy, non à 63 %, et à Bonneville, non à 65 % – la Savoie s’est stabilisée comme une région particulière de la France.

A cela s’ajoute les premières figures industrielles savoyardes qui s’unifient parfaitement avec l’industrie française.

On peut citer par exemple Jules Barut, né en 1857 à Annecy, qui fonde l’ Usine électrochimique du Giffre, Louis Carpano né en 1823 dans le Piémont qui, après avoir été formé à l’horlogerie à Cluses, s’associe en 1869 au maire (de droite) pour développer l’horlogerie ou encore Adrien Badin, né en 1873 à Modane et dirigeant du grand groupe d’aluminium Pechiney de 1906 à 1917.

Ces notables savoyards seront d’ailleurs bien souvent investis en politique, dans le camp républicain, alors soutenu par les ouvriers.

Le rattachement de la Savoie à la France en 1860 ne fait qu’achever le processus d’unification nationale à l’œuvre dans toute l’Europe, faisant entrer la Savoie définitivement dans la modernité, avec les luttes des classes qui y correspondent et vont s’affirmer quelques décennies plus tard.

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