Naissance et vie de la fédération communiste de Haute-Savoie (1914-1932)


Histoire populaire / vendredi, septembre 6th, 2019

Si la structuration du socialisme en Savoie est effective, son absence de contestation de la domination idéologique des notables du Parti radical l’amène à accepter la mobilisation dans la Première Guerre mondiale.

1917 : scission du socialisme

La Première guerre mondiale, c’est dix millions de morts et environ huit millions d’invalides, avec près de 100 000 savoyards mobilisés.

>> Voir aussi : La première guerre mondiale et l’industrie locale

En octobre 1917, la lumière jaillit de l’obscurité : c’est la victoire des bolcheviques qui ont dirigé les comités populaires (Soviets) jusqu’à leur victoire complète.

C’est la déclaration de paix, la terre aux paysans et l’établissement d’un nouveau pouvoir structuré autour de la classe ouvrière.

Alors que la Guerre continue ses ravages et que la seconde internationale est décrédibilisée, la fraction majoritaire du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (bolchévique) lance en mars 1919 une nouvelle internationale d’identité communiste.

>> Voir aussi : Le pacifisme et Henri Barbusse

Aux élections législatives de novembre 1919, les socialistes obtiennent plus de 7 000 voix et, en décembre 1920 au congrès S.F.I.O de Tours, il y a 532 adhérents à la fédération socialiste de Haute-Savoie. Le socialisme sortait renforcé de la Guerre, déjà visible avec la divison en deux fédérations (Savoie / Haute-Savoie).

Au printemps 1920, lors du congrès de la Roche-sur-Foron, Just Songeon pour la vallée de l’Arve et Albert Lapraz pour le Chablais, parviennent à convaincre facilement la fédération d’adhérer à la IIIe Internationale communiste.

Edition du « Travailleur savoyard ». Organe des Fédérations socialistes (S.F.I.O). 14 février 1920

C’est la naissance de la Fédération de Haute-Savoie de la S.F.I.C – Section française de l’Internationale Communiste. Sa base idéologique est toutefois très faible.

Par exemple, Luc, un militant socialiste dans « Adhésion pure et simple à la IIIe Internationale » dans le « Travailleur Savoyard » du 14 février 1920 sous-entend que Lénine et la Révolution russe sont « influencés par les syndicalistes révolutionnaires français ».

Or quiconque a lu Lénine sait bien que le bolchévisme s’oppose justement en tous points au syndicalisme-révolutionnaire et à la pensée révisionnisme de Georges Sorel (qui alimentera d’ailleurs le fascisme).

La base du ralliement à l’Internationale Communiste est donc une lecture de la Révolution comme une unité des syndicats pour l’auto-gestion des entreprises. Il n’y a pas de compréhension de l’importance d’une vision du monde communiste.

Permanence prolétarienne à Annemasse en septembre 1922

Il n’empêche que les communistes emportent avec eux l’organe de presse socialiste d’avant-guerre le « Travailleur savoyard », qu’ils rebaptisent « le Travailleur des Savoie et de l’Isère ».

La S.F.I.O devient un parti de classes moyennes : sur 30 sections socialistes, 10 secrétaires sont des instituteurs, notamment grâce à l’École d’instituteurs à Bonneville fondée en 1887.

Quant aux communistes, ils conservent une assise ouvrière en se structurant surtout autour des vallées industrielles.

À son premier congrès le 17 avril 1921, il y a 13 groupes communistes, dont Genève, Annemasse, Marnaz, Sallanches, etc. De nouveaux groupes émergent ensuite à Chedde impulsés par des cheminots de la gare du Fayet et quelques ouvriers de l’usine électrochimique, mais aussi à Cluses, Scionzier, Tanninges…

Relevé de tournée de propagande en 1924 (L’Humanité)

La S.F.I.C de Haute-Savoie compte environ 450 adhérents et, en mars 1922, il y a un millier d’abonnés au « Travailleur Savoyard », dont 26 à Sallanches, 100 à Annemasse, 20 à la Roche-sur-foron.

À cela s’ajoute des journaux locaux, comme Georges Fetz qui publie « Le Rochois » à la Roche-sur-Foron. Cependant, du fait de la base syndicale des cellules, le niveau idéologique est faible et la vie politique assez routinière.

>> Voir aussi : Georges Fetz, militant communiste à la Roche-sur-Foron

En février 1921, la S.F.I.C présente la candidature de Just Songeon aux élections législatives.

Né en 1880 à Sillingy, Just Songeon était une figure du socialisme savoyard – S.F.I.O – depuis son passage à l’école d’instituteurs de Bonneville en 1900.

Issu d’une famille d’exploitants-agricoles tenant une auberge, il était un fin connaisseur des mœurs paysannes. La publication au milieu des années 1920 en patois de poèmes Lô coups de mula du p’tio de la Comba et d’une revue, sous le même titre, en sont des illustrations.

Just Songeon

Nommé en 1906 à l’école primaire supérieure d’Annemasse, Just Songeon enseigna le français, l’anglais et la géographie, avant d’intégrer le 230e régiment d’infanterie pendant toute la Première Guerre mondiale.

Comme ses pairs, la barbarie de la guerre l’a profondément marqué et c’est pourquoi il rejoint les rangs communistes.

Très investi dans la CGPT (Confédération Générale des Paysans Travailleurs), il milite avec Aristide Desbiolles, un artisan d’Annemasse, pour l’extension des coopératives laitières.

Plein d’entrain et d’abnégation  militante, c’est lui qui diffusa les premières idées communistes à travers l’agitation électorale de février 1921 alors même que les campagnes de Haute-Savoie n’offraient pas un terrain des plus favorables (affiches déchirées, hostilité dans les petits villages, invectives de la part d’ivrognes…).

Mais grâce à une orientation qui fustigeait les marchands de canons, et diffusait l’espoir d’une société socialiste de paix, une brèche fut ouverte.

Just Songeon réussi à obtenir 7 079 voix sur 74 610 inscrits (9,5%) contre 22 399 pour la droite (30%) et 21 950 (29%) pour le notable radical. Il n’empêche que les voix pour Just Songeon dépassaient le score des candidats socialistes de 1919.

Centre cheminot (rotonde) à Annemasse qui a atteint jusqu’à 500 ouvriers

Dans les années 1920, le Parti communiste en Haute-Savoie était squelettique mais grâce aux consignes de l’Internationale de se « bolcheviser » (former des cadres issus de la classe ouvrière), la fédération communiste se renforce qualitativement.

En 1934, on compte une trentaine de cellules pour environ 250 adhérents. Les places fortes sont le Chablais des paysans-cultivateurs (14 cellules) et le Faucigny ouvrier, avec 9 cellules pour 80 adhérents, dont l’important centre cheminot d’Annemasse. A l’inverse, le rayon Annecy-Chambéry ne compte que 8 cellules pour 60 adhérents.

Cet ancrage prolétarien allait faire la force et la faiblesse des communistes : une identité marquée et disciplinée mais qui, réduite à des noyaux ouvriers isolés, ne permet pas d’influencer de manière générale la société.

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