12h. Il est dimanche, le supermarché est ouvert et, comme tout le monde, on a un besoin in extremis de se ravitailler de trois broutilles à 11h. Le travail du dimanche est une abomination, encore un peu de terrain gagné par le capitalisme dans son emprise quotidienne sur la vie des gens.
On se dit qu’on ne fait que passer, même pas besoin de panier puisqu’on est venu pour presque rien.
On parcourt les rayons du supermarché le plus vite possible, contournant les gens, évitant le contact à la dernière seconde. Les rayons se succèdent et deviennent un piège, les bras se chargent à l’extrême et le temps s’étire.
Un homme aboie sur sa femme au rayon charcuterie : « attend voir que je te gueule dessus en public, ça va te faire tout drôle ! » et il la presse de passer entre deux dames âgées qui commentent le froid dehors et deux grands hommes en tenue religieuse parlant en arabe. Elle a l’habitude, elle est calme, elle attend que ça lui passe.
Il faut continuer son itinéraire jusqu’à la caisse, du coin de l’œil, les rayons alcool se succèdent, un, deux, trois, quatre ! Et ça n’y coupe pas, une personne égarée interroge les bouteilles d’un air dubitatif. « Daniel il est plutôt rouge ou blanc ? Ou bien j’amène un petit digeo… ». Et oui, le dimanche c’est repas de famille.
Jusqu’au bout les rayons sucrés tenteront de nous corrompre, les marchandises nous interpellent, elles dansent comme pour mieux nous hypnotiser. C’est pour cela que les têtes de gondoles ont été conçues, pas d’angle mort pour la marchandise.
On manque de rentrer dans quelqu’un au rayon jus de fruits. Lorsqu’on découvre l’alignement des tapis et le bip caractéristique, on est saisi d’effroi, on est dimanche, tout le quartier a envoyé son commissionnaire.
L’attente semble interminable, il faut prendre son mal en patience. Personne n’abandonne son butin pour fuir vers les portes automatiques et la lumière du jour, quelle résilience !
Dans la file, beaucoup de gens se connaissent. Deux hommes aux trais tirés parlent de la boîte d’intérim en mélangeant les langues. On comprend qu’il n’y a plus beaucoup de coups de téléphone. C’est vrai, les entreprises craignent la crise et se préparent en fonction.
De l’autre coté, un grand jeune homme habillé dans la tendance décroche son téléphone, on doit l’attendre chez lui, il répond avec un demi-sourire : « Je suis dans la queue, y’ a 3 000 personnes, c’est la dernière fois que tu m’envoie acheter du fromage le dimanche ». Les gens autour qui l’ont entendu croisent son regard et dodeline la tête avec approbation.
On est tous là avec un air coupable, en sachant au fond de nous même qu’on ne devrait peut-être pas être là. Le supermarché ferme ses portes à 12h30.
C’est une aberration, le dimanche c’est le droit au repos, surtout pour les employés des magasins. C’est le moment pour rester en famille, un jour où on peut éviter d’aller se rendre fou dans les grandes surfaces, éviter les rapports tendus et les lumières artificielles, enfermés encore une fois dans une de ces cages en métal.