L’écologie, c’est la conquête d’une vie en harmonie avec la nature. Puisque le capitalisme développe un mode de vie à rebours de ce besoin, en s’organisant, la classe ouvrière a recherché à satisfaire cette aspiration. Et comment peut-il en être autrement pour une classe qui vit mieux que quiconque l’exploitation du capitalisme ?
En août 1905, un conflit général éclate aux usines d’aluminium en Maurienne. Edgard Milhaud, le secrétaire de la Fédération socialiste des deux Savoie, se rend sur place pour apporter son soutien. Il y rapporte :
Le régime de travail contre lequel s’élèvent les ouvriers, est celui-ci de deux équipes faisant douze heures chacune, l’une le jour, l’autre la nuit… Pendant ces douze heures, aucun repos, […] et travail dans les conditions d’insalubrité les plus désastreuses les ouvriers respirent continuellement des gaz délétères qui leur ravagent les poumons et qui, exerçant leur action sur des organismes débilités par le surmenage, les tuent en huit ans, dix ans au plus.
En réalité, ces enjeux sur les conditions de vie au travail ont été similaires dans toutes les usines électrochimiques des Alpes, donc également à Marignier et à Chedde.
Guy Ancey, délégué C.G.T du personnel et employé à l’atelier d’aluminium « exposé à la chaleur et aux gaz, particulièrement le fluor », revient sur les revendications nées du mouvement d’occupation de l’usine à la fin du mois de Mai 68 :
Des aspects revendicatifs de tours ordres touchaient les ateliers et surtout les conditions d’hygiène et de sécurité. La chaleur, les gaz et la poussière étaient inhalés par les salariés et créaient des conditions de vie au travail très dures.
Les travailleurs n’étaient pas à l’abri d’accidents. Plusieurs explosions ou accidents graves sont venus toucher dans leur chair des salariés et voir emporter leur vie. Une de ces explosions, en 1960, dans l’atelier perchlorates, a même contraint les autorités à préparer une éventuelle évacuation de la population. Les retombées atmosphériques dues à cette explosion étaient inconnues.
Guy Ancey s’est éteint en 2014, à l’âge de 70 ans, des suites d’un cancer des poumons. Et il ne faudrait pas croire que cette question est définitivement réglée. Les conditions de vie au travail sont encore aujourd’hui assez difficiles dans certains secteurs et certaines entreprises locales, avec en plus un surmenage psychologique.
Le récit de Sylviane Rosière, ouvrière dans une usine de décolletage, écrit en 2007 est à ce titre parlant. Atteinte par un cancer du sein, elle a été membre du Comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), fustigeant ainsi « l’usage du trichlo, le manque d’aération, les sols glissants ».
Puis, elle a cette description admirable de son quotidien prolétaire :
On dit de l’usine: c’est une tôle ! C’est vrai, tout est en tôle avec charpente métallique et grandes baies vitrées côté route. De l’extérieur ça parait moderne. Là où je travaille, il n’y a pas de fenêtre. Pour avoir de l’air, il faut ouvrir un grand portail. L’été dernier, il faisait si chaud que j’ai été prises de nausées »
Le capitalisme a la fâcheuse tendance à vouloir tout s’approprier, y compris et surtout la vie elle-même. Pour lui, la vie, de la force de travail ouvrière aux animaux, c’est un carburant que l’on jette sans état d’âme dans le grand fourneau de l’accumulation des profits.
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Et forcement au coeur de cette exploitation, il y a la classe ouvrière qui le vit, et le reflète. Depuis qu’elle cherche à s’organiser pour s’émanciper, elle a été en quête d’une vie naturelle. Une quête qui repose sur un ressenti objectif. Karl Marx a expliqué à propos de l’exploitation des travailleurs par le capital :
Dans sa gloutonnerie de travail extra [supplémentaire, plus-value], le capital dépasse non seulement les limites morales, mais encore la limite physiologique extrême de la journée de travail. Il usurpe le temps qu’exigent la croissance, le développement et l’entretien du corps en bonne santé. Il vole le temps qui devrait être employé à respirer l’air libre et à jouir de la lumière du soleil.
C’est d’ailleurs pour satisfaire ce besoin d’une vie naturelle que fut crée en 1895 à Vienne, l’association « Les Amis de la Nature » liée à l’Internationale Ouvrière (socialiste), avec des sections un peu partout en Europe, y compris en Haute-Savoie, chargées de promouvoir les connaissances scientifiques de la Nature.
On a là les éléments historiques de l’approche par le mouvement ouvrier, de ce qui sera appelé plus tard, l’écologie. Au sens strict, l’écologie c’est l’interaction entre des êtres vivants et l’environnement naturel. N’est-ce pas l’écologie que de réclamer des équipements pour se protéger des poussières et des gaz ? N’est-ce pas écologique que de vouloir faire du lieu de travail, ce centre de la vie sociale, un espace plus naturel ? Chercher un mode vie sain et naturel face à la dénaturation capitaliste, n’est-ce pas là tout le sens de l’écologie ?
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Alors, il est vrai que la difficulté du travail prolétaire a engendré une mentalité masculine spécifique, dans laquelle est valorisée l’effort virile dans un tel environnement. Parfois à tel point, que cela a comprimé la sensibilité, faisant du développement d’infrastructures lourdes une nécessité sans limites au regard de la nature.
Puis à partir des années 1970, l’apparition de l’écologie en tant que telle, a été le reflet de l’élargissement de la corrosion du capitalisme, non plus seulement à l’usine et ses abords, mais à l’ensemble des conditions de vie dans la société.
Cela est visible avec la pollution au fluor dénoncée par un collectif d’habitants en Maurienne dans les années 1970, tout comme de la question de la pollution de l’air, devenue généralisée dans la vallée de l’Arve. La domination du capitalisme sur la société toute entière, c’est la société de consommation qui n’est rien d’autre qu’une société de pollution.
Mais force est de constater que s’il y a un point de départ historique à l’écologie, il est dans la naissance du mouvement ouvrier. En ce début de XXIe siècle marqué par une crise sanitaire d’ampleur, la tâche de la Gauche est de faire de la lutte des classes, non plus seulement un enjeu social, mais un enjeu pour la défense générale des conditions naturelles de la vie.