Le décolletage doit cesser sa dépendance au militarisme


Politique / mardi, avril 13th, 2021

Quand on consulte les sites de présentation des différentes entreprises de décolletage, on est frappé de voir à quel point le secteur de l’armement est omniprésent. Ce secteur peut représenter jusqu’à un tiers du chiffre d’affaires de certaines entreprises, voire même constituer la spécialité de certaines d’entre elles, ce qu’elles cherchent parfois à masquer sous le terme de « marché de la Défense ».

Ce débouché est tellement enraciné, qu’il est accepté comme allant de soi. Lors du plan de licenciement chez Franck & Pignard à l’été 2020, voici ce qu’espérait une employée :

On ne comprend pas comment il [Directeur de l’usine] va pouvoir faire tourner cette entreprise sans ces personnes. On espérait tourner la page, avoir une autre personne qui se diversifie dans le médical, l’armement

Partout dans le monde les tensions militaires se renforcent, avec notamment la compétition entre les Etats-Unis et la Chine, comme l’atteste l’inquiétante remontée du conflit dans l’est de l’Ukraine. Les exportations d’armes par la France pour la période 2015-2019 ont augmenté de 72 % par rapport à la période 2010-2014, la France étant d’ailleurs le troisième pays exportateur d’armes après la Russie et les Etats-Unis.

Or, ces armes il faut bien les produire. Alors, il y a bien les grandes entreprises connues comme Dassault, Nexter, MBDA, Thalès, EADS, etc., mais derrière, les petites pièces, les composés, etc., sont fournis par les tissus industriels locaux, comme le décolletage par exemple.

C’est une mauvaise direction, que les travailleurs doivent refuser car cela pose un véritable problème démocratique.

De fait, ce lien avec l’armement n’est évidemment pas nouveau. En fait, l’industrie horlogère s’est transformée en industrie de décolletage pendant la Première Guerre mondiale lorsqu’elle a fourni l’armée en obus et autres outils militaires de précision. On sait également que, pendant la Seconde Guerre mondiale, les maquis FTP sabotaient les transformateurs électriques d’usines au service de la machine de guerre allemande.

Mais si l’armement est un élément historique constitutif du décolletage, les années 1980, puis la crise de 2008 semblent avoir connecté encore un peu plus les deux ensembles industriels.

En effet, dans les années 1980, la production par les pays asiatiques des pièces courantes pour l’électroménager, l’automobile, l’électronique, etc., a confirmé la re-direction du décolletage vers les secteurs de pointes, telle que la connectique militaire par exemple.

>> voir aussi : La Roche-sur-Foron : la « classe défense », une éducation à la guerre

En 2008, le crash du secteur automobile vers lequel est massivement tournée l’industrie du décolletage, a nécessité de penser une nouvelle orientation. Celle-ci s’est fondée sur la recherche de clients à l’international pour exporter, et sur la captation de nouveaux marchés, comme l’armement. Certaines entreprises se sont regroupées pour mieux capter les commandes d’armement.

Cela amène une dépendance par rapport à l’Etat, sans qu’il n’y ait de débat démocratique sur ses choix… Mais pas seulement. C’est également passer sous la coupe des grands groupes liés aux choix de l’Etat, tels Dassault, EADS, filiale d’Airbus pour l’armée.

Que Dassault Aviation ait choisi Argonay, à mi-chemin entre Annecy et la vallée de l’Arve, n’a d’ailleurs rien d’anodin. Revenant sur les raisons de cette implantation en 1963, Eric Trappier, PDG de Dassault aviation, déclarait :

 La politique de l’État poussait, à l’époque, à la décentralisation […] Et parce que le savoir-faire des Haut-Savoyards est remarquable en matière d’industrie de précision comme le décolletage

Ce site de Dassault Aviation est spécialisé dans la fabrication et l’assemblage des systèmes de commande en vol des avions Rafales et Falcon, des systèmes qui demandent des composants électroniques et des pièces décolletées de haute précision.

A ce titre, Florence Parly est venu sur le site Dassault Aviation fin janvier 2021 pour acter la commande de 12 nouveaux avions de chasse Rafale, après la vente de 18 avions de ce type à la Grèce dans le cadre des tensions préoccupantes entre la France et la Turquie en Méditerranée.

Mais on aurait bien pu également citer le site de production de Thales Thonon-les-Bains, d’environ 316 salariés, spécialisé dans la fabrication de composants électroniques destinés aux systèmes d’imagerie et de l’hyperfréquence, notamment pour l’armée.

Fort heureusement, il n’y a pas que l’armement : Savoy International ne s’est-il pas orienté dernièrement vers la production de masques ? Plus simplement, il y le matériel ferroviaire, les énergies renouvelables, le matériel médical, l’électroménager, etc.

Mais il y a le choix de la facilité, il y a la soumission au militarisme… Les travailleurs du décolletage ont le même dilemme que les travailleurs de l’armement, alors que de manière plus générale cela pose la question du poids de l’armée dans l’industrie française.

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