Le reblochon, héritage d’une lutte de classe anti-féodale


Histoire populaire / vendredi, mai 14th, 2021

En tant qu’ingrédient fétiche de la tartiflette, plat lui-même à la base de la culture touristique montagnarde, le Reblochon est sans conteste l’un des fromages savoyards les plus connus. Son origine l’est moins. Et pourtant, ce fromage est un produit d’une lutte des classes, qui s’est transformée au cours de l’histoire.

A l’origine, le mot « Reblochon » provient du patois savoyard Rablassâ, qui signifie « voler, marauder ».

Tout provient des contradictions de classe d’une société féodale où la production s’appuie essentiellement sur la campagne, et l’exploitation du sol.

D’un côté, il y a des paysans, le plus souvent au statut de métayer en Savoie, qui travaillent la terre avec des instruments plus ou moins rudimentaires, et de l’autre, la noblesse et le clergé qui, propriétaire des terres, s’approprient un gain en exploitant le travail des premiers.

Ces rapports entre classe dans la production se fondait sur un « cense d’albergement », c’est-à-dire un « contrat » passé entre le paysan et le propriétaire, le premier recevant une terre à exploiter en échange d’une redevance annuelle.

Dans les alpes savoyards, de tels contrats naissent véritablement au XIVe siècle, alors qu’auparavant la forêt règne en maîtresse.

De ce fait, et en rapport au métayage prédominant et de la pratique, la redevance était donc effectuée en nature, nommée « droit d’auciège » et consistant à extraire une partie du produit de l’exploitation au bénéfice du puissant propriétaire.

Dans la vallée de Thônes et des Aravis, là où le Reblochon est réellement né, le paysan devait léguer une partie de sa production de lait équivalente à 6, 10, 15 jours, selon le cas. Pour justement évaluer, le droit du noble, un délégué du propriétaire se rendant à un moment dans l’exploitation.

Les vaches étaient alors toutes traites devant lui, et le lait était ensuite mesuré, de sorte qu’il était possible ensuite de savoir que tant de pots de lait fournissaient tant de fromage ou tant de beurre. Le droit d’auciège pour l’année était alors connue.

Or, le paysan, qui voulait conserver la part la plus importante de son travail, trouvait toujours une combine pour traire de manière incomplète les vaches.

La base du calcul de la redevance était ainsi truquée par la lutte des classes, opposant l’intérêt immédiat du paysan-travailleur à celui du propriétaire-rentier. C’est d’ailleurs au moment où lé délégué à l’impôt était reparti que le paysan « rablassa » ou « rablacha ».

Cette seconde traite était riche en lait crémeux, mais recueillie en trop petite quantité pour faire des fromages à pâte dure. C’est ainsi que les paysans du Reposoir écrivaient ce produit, du Reblesson, donnant plus tard le reblochon.

Le fromage, objet de toutes les convoitises, était utilisés par les princes de Savoie pour négocier avec les royautés, et ainsi entretenir de bonnes relations.

>> voir aussi : Le rôle des producteurs reblochon dans l’abattage des bouquetins du bargy

Si le fromage sort de l’ombre à partir du XVII siècle, c’est après la libération des métayers lors de la Révolution française de 1789 qu’il est reconnue de manière officielle. C’est la dissolution du féodalisme et de ses anciens rapports sociaux, remplacés par le paysan affranchi et propriétaire de son exploitation qui permis cette reconnaissance officielle.

Son attrait culinaire pris en essor considérable, et la demande sur le marché obligea d’ailleurs les producteurs à chauffer le lait traité à 32°c, afin que le fromage, devenue une marchandise source de juteux profits, à voyager et à répondre à diverses clientèles.

En 1958, le Reblochon devient une « Appellation d’origine contrôlée » (AOC) et sa production avoisine aujourd’hui les 17 000 tonnes par an. D’une lutte des classes contre l’oppression féodale, le reblochon s’est transformé en un marché capitaliste comme les autres.

Et l’on peut ainsi conclure par ses mots si justes de Karl Marx : finalement, « la société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n’a pas aboli les antagonismes de classes Elle n’a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d’autrefois ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.