L’affaiblissement de l’extrême droite est une illusion


Politique / mardi, juin 22nd, 2021

Avec les élections régionales et départementales marquées par un taux d’abstention ahurissant, il y a l’illusion comme quoi le R.N serait en déroute total. Pourtant, le parti d’extrême droite reste le deuxième du département, avec près de 15 % des suffrages exprimés (22 729 voix), alors même que son électorat ne s’est pas mobilisé…

En fait, on a là une fausse photographie de la situation politique. Croire sans recul critique en cette artifice c’est louper ce qui fait la « dynamique » historique de l’extrême droite et ne pas anticiper le futur retour de bâton qui s’annonce.

Il y a deux erreurs à ne pas commettre. La première c’est d’assimiler le fascisme à un seul parti d’extrême droite, en l’occurrence le RN. Le fascisme est toujours et avant tout un mouvement qui puise de partout et converge autour d’une figure au moment voulu.

La seconde, c’est de penser que le fascisme serait un embrigadement massif de la société. Justement, ce qui a marqué les esprits dans l’Histoire, c’est sa capacité de s’appuyer sur la rancœur, le désespoir et le rejet populiste de la politique….tout en prétendant qu’il va tout changer sans ne rien exiger réellement des gens.

Dans le livre Les chômeurs de Martiental, une enquête sociologique en 1931 dans un petit village d’Allemagne ravagé par le chômage, cela est bien lisible. Il y est décrit comment la vie sociale se délite, comment le repli individualiste est général et comment l’effort intellectuel et politique est réduit à néant…

C’est dans ce genre de situation que s’ouvre l’espace pour la démagogie d’extrême droite, car l’apathie collective ne dure qu’un temps. Une société doit toujours faire société, l’individualisme et le refus de toute considération autre que soi-même n’est pas éternel, et cela d’autant plus que la misère sociale et la perte des repères moraux sont prégnants.

L’extrême droite se présente alors comment le grand mouvement de régénération de la société au service de la seule communauté supposée valable, la Nation. Elle n’organise pas sur le temps long les gens, et ne leur demande qu’une implication passive au « bon moment ».

A l’inverse, la Gauche, celle liée au mouvement ouvrier, affirme qu’il faut s’impliquer de manière prolongée pour transformer la société sur une base démocratique et populaire. Seule une telle dynamique peut vraiment enrayer la dynamique d’extrême droite.

Pour comprendre le discours anti-politique de l’extrême droite qui ne demande rien aux gens si ce n’est un soutien général au « moment crucial », il suffit de lire ce que rapporte le préfet de Haute-Savoie à propos d’une réunion des Croix de feu, principal mouvement d’extrême droite des années 1930, à Thonon-les-Bains le 21 janvier 1936 :

Il a déclaré que les Croix de Feu n’étaient pas une formation politique, mais seulement un groupement d’entr’aide sociale. […] Le conférencier a dit que, contrairement aux formations politiques, ils n’avaient pas de programme, mais simplement un ensemble d’idées […]

En second lieu, le mouvement Croix de Feu désire, dit-il, restaurer l’idée de Patrie. L’orateur a signalé qu’un certain nombre de Français n’osaient plus avouer qu’ils l’étaient, ceci explique pourquoi, depuis 10 ans, les étrangers à notre pays ont pris une place prépondérante et ont réussi à modifier nos goûts (introduction de la musique américaine, de romans exotiques, etc…) […]

M. Gardet [président de la séance] a terminé en disant que leur idée maîtresse était la collaboration de toutes les classes de la Société en faisant retomber sur chacun la responsabilité de ses actes pour le bien du pays.

Et forcément si l’engagement est à la base non-politique, alors la mobilisation ne doit être que ponctuelle, limitée à un moment crucial. Le problème c’est que l’extrême droite cherche à mobiliser sans trop mobiliser, de peur que cela déborde de son cadre, comme l’a bien exprimé la contradiction entre les SS et la SA en Allemagne.

Un tag inquiétant de soutien à la tribune des militaires factieux à Marnaz

C’est le serpent qui se mort la queue, car la base culturelle de l’extrême droite c’est : « laisses moi faire ma vie, ne me demande rien d’autre que de soutenir « le chef » au bon moment pour que tout change sans que rien ne change ».

Cela fait écho aux paroles de Walter Bassan, résistant antifasciste des années 1940 en Haute-Savoie, qui fustigeait en 2017 :

Moi actuellement ce qui me fou en boule c’est quand j’entends quelqu’un dire « je fais pas de politique », « faut pas faire de politique ». Pourquoi ? Dire « je ne fais pas de politique », ça veut dire que celui qui dit ça, enfin celui qui fait dire ça, dit « ne fais pas de politique, moi je la fais, je m’occupe de tout, alors t’occupe pas de ça ». Ca veut dire que t’es pas un citoyen, et que tu laisses le fascisme s’occuper de l’évolution politique

L’abstention généralisée aux élections régionales et départementales, l’absence d’une Gauche authentique dans la vallée de l’Arve, la mise au point mort de toutes les luttes collectives et de la vie démocratique et culturelle, voilà le signal d’une société traversée par une crise profonde fuyant ses responsabilités et prête à se mobiliser au « moment crucial ».

Ce qui se passe, c’est que plus on avance vers 2022, plus la mobilisation en faveur de l’extrême droite va être ponctuelle, et pouvant passer par telle ou telle figure dite providentielle. Cela peut faire d’autant plus de dégâts que cette mobilisation peut survenir sur fond de nihilisme généralisé et d’une profonde rancœur contre la vie démocratique… A moins que la Gauche soit en mesure de faire s’investir collectivement les gens pour changer la vie.

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