Ahmed Lounis, candidat de la NUPES dans la 6e circonscription de Haute-Savoie, avance des idées farfelues qui effacent l’héritage de la Gauche historique.
Dans une interview au journal Le Messager du 20 mai, Ahmed Lounis, désigné comme le candidat de la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale, alliance électorale des principales forces de gauche et écologiste, a eu des propos pour le moins surprenant à propos de cette même alliance.
Répondant au « message » qu’il voulait souhaiter « faire passer aux électeurs », il a ainsi déclaré :
Une phrase de Victor Hugo me vient à l’esprit : « soyons serviteurs de la loi et esclaves du devoir ». De plus, c’est la première fois dans l’histoire politique française, qu’une union de la gauche se forme. En tant que candidat pour la 6e circonscription de la Haute-Savoie, je suis fier d’apporter ma contribution à ce moment historique
Soyons clair : il n’y a rien qui va dans de tels propos.
On se demande déjà bien pourquoi ce candidat, normalement représentant de la Gauche, qui plus est de son union, est-il allé chercher Victor Hugo, cette figure opportuniste opposée au mouvement ouvrier enterrée au Panthéon, et dont le grand militant socialiste Paul Lafargue disait qu’ « il fut le seul qui mit en vers les tirades charlatanesques de la philanthropie et du libéralisme bourgeois ».
Pourquoi ne pas puiser dans les multiples références intellectuelles du mouvement ouvrier plutôt que dans un artiste et homme politique issu de l’orléanisme et reconverti dans le catholicisme social ?
Mais au-delà de cette référence étrange, émettre l’idée que la NUPES est une « première de l’histoire politique française » est un coup de force idéologique qui met de côté 150 ans d’histoire des forces démocratiques, puis du mouvement ouvrier.
Un coup de force d’autant plus gênant qu’Ahmed Lounis fait face à un dissident d’EELV, Stéphane Lagarde, qui n’a pas intégré la NUPES mais se présente « écologiste » bien que d’orientation libérale…
Bref, c’est déjà la confusion et Ahmed Lounis en rajoute car avant la NUPES, il y a eu cinq expériences au moins d’unité à Gauche, cinq moments qui ne reflètent pas la même dynamique et permettent de voir à quoi appartient la NUPES.
>> Voir aussi : l’accord électoral des gauches ou le contournement de l’unité à la base
La première expérience remonte à 1899 avec la formation du Bloc des gauches pour les élections législatives de 1902 après les tensions antisémites nées dans le sillage de l’Affaire Dreyfus. Il rassemblait principalement l’aile droite des socialistes ainsi que les radicaux-socialistes pour la « défense républicaine » face aux prétentions nationalistes et populistes.
Entre 1924 et 1926, il y a eu le cartel des gauches, coalition électorale qui rassembla les radicaux-socialistes ainsi que la SFIO (ancêtre du parti socialiste), dont le but était surtout d’assurer une coalition gouvernementale et un groupe parlementaire socialiste après la scission du Congrès de Tours en décembre 1920 donnant naissance au Parti communiste.
L’un des moments les plus intéressants, car fondamentalement lié à une impulsion du mouvement ouvrier, est sans aucun doute celui du Front populaire constitué en 1934-1935. Moment de formation d’une unité à la base des militants socialistes et communistes dans l’opposition à la montée du fascisme et de la guerre en France.
S’il se réalisa pleinement en mai-juin 1936 avec la victoire électorale donnant lieu au gouvernement de Léon Blum suivi des premières grèves avec occupation, il a surtout généré un souffle populaire permettant de jeter les bases politiques pour la Résistance à l’occupant nazi dans les années 1940.
Puis, il y a le Programme commun signé en 1972 principalement par les partis socialiste et communiste, alors les deux forces hégémoniques à Gauche. La base de ce programme était offensif, rien que par le fait d’assumer la nationalisation de grands groupes industriels et bancaires ainsi que la dissolution de l’OTAN et du Pacte de Varsovie (alliances militaires des Etats-Unis et de l’URSS).
Enfin, on peut citer plus récemment, l’accord dit de la « gauche plurielle » entre 1997 et 2002, alliance électorale entre le PS, le PC, les Radicaux de gauche, les Verts, le MRC ainsi que des forces de divers gauche.
Alors pourquoi faire une telle OPA sur l’histoire de la Gauche française, si ce n’est pour masquer le fait que la NUPES ne repose sur pas grand chose dans cette 6e circonscription de Haute-Savoie ? Si ce n’est pour donner l’impression qu’on aurait là un soi-disant évènement historique ?
Car à la vue des choses qui se déroulent, si cette coalition relève d’une expérience historique, c’est plutôt celle du Cartel des gauches ou de la Gauche plurielle, plutôt que d’une tendance historique de fond comme le furent le Front populaire de 1936 ou le Programme commun de 1972.
Et sans tendance historique qui porte les choses, le château de carte ne fait jamais illusion bien longtemps…